Je sors de mon cours de littérature mais un gars de ma classe – assez lourd d'ailleurs – me rattrape dans le couloir. Merde... Moi qui avais juste envie d'être tranquille et de rentrer au plus vite à la maison ! « Lexie, attends moi ! » Je fais comme si je n'avais rien entendu et je ne ralentis pas, au contraire, j'accélère et me faufile entre les élèves. Je fais comme si j'allais aux toilettes alors qu'en fait, je prends la porte d'à côté qui mène au toit. Au moins, j'ai pu le semer et c'est tant mieux. Je profite du fait d'être dehors pour sortir mon briquet et une cigarette. Mais là, la porte s'ouvre. Pourvu que ce soit pas lui... Il serait bien capable de me suivre ce détraqué ! Heureusement, ce n'est pas lui, c'est un autre garçon, que j'ai croisé quelques fois auparavant sans savoir qui c'était. Il est pas mal, c'est le genre de type avec qui je pourrais sortir... Il me tire de mes pensées quand il me demande si j'ai du feu, je lui tends alors mon briquet mais il ne me remercie pas instantanément alors je réplique « Un merci ne va pas t'arracher la langue. » puis il se décide à me dire « Merci. ». Eeeeh ! Il embarque mon briquet ! Je n'ai même pas le temps de l'en empêcher qu'il est déjà parti. Ça m'apprendra à prêter mes affaires.


Cela fait déjà trois ans qu'il m'a piqué mon briquet. Enfin... ça fait surtout trois ans qu'on s'est rencontrés et presque autant de temps qu'on est ensemble. Si si, y a des couples de jeunes qui durent longtemps, je vous assure ! Désormais, on vit ensemble dans un studio minuscule mais ça se passe bien. Certes, on doit se serrer la ceinture parce qu'il est le seul à travailler, comme j'ai continué mes études, pourtant on s'en sort ! Pour une fois, il a même fait la cuisine. Ce n'était pas succulent, mais ce n'était pas non comestible non plus, disons que ça manquait juste un peu d'assaisonnement. Je ne dis rien, ça me fait plaisir qu'il ait fait l'effort ! On passe maintenant au dessert et je m'aperçois qu'il est tendu, je fronce alors les sourcils. C'est ce moment-là qu'il choisit pour me déballer un truc auquel j'étais loin de m'attendre « Lexie. Je n'ai jamais été aussi heureux qu'avec toi. Je n'imagine pas mon futur sans toi. Quand je m'imagine notre avenir, je m'imagine en train de coucher notre premier enfant et toi, avec un gros ventre à mes côtés... Enfin non, c'est pas ce que je voulais dire. Avec un joli ventre mais pas gros parce que tu aurais trop mangé, gros parce que... Bref, laisses tomber, je crois que je m'enfonce là... Lexie, veux-tu m'épouser ? » On est jeunes, mais je m'en fiche. On est heureux, et c'est tout ce qui compte. Moi aussi je veux passer le restant de mes jours avec lui, et porter ses enfants. Je ne réfléchis pas plus et je réponds  « Oui ! ». « Quoi ? ». Ma réponse était-elle si inattendue que ça ???  « T'es sérieuse ? » Ni une ni deux, je me jette sur lui pour l'embrasser, espérant que ça réponde suffisamment à sa question.


Il est temps que j'annonce à Zoé que Kiran m'a demandée en mariage. Qui est Zoé ? C'était juste une expérience d'adolescente qui date du lycée. Elle ne veut pas que je la quitte. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle est vraiment tombée amoureuse de moi ou quoi, mais en tout cas, je ne l'aime pas. Si seulement elle n'était pas si bizarre, j'aurais peut-être pu la considérer comme une amie... Enfin, ça fait des années que ça dure, qu'on est en couple en secret parce qu'elle ne veut pas que je la quitte... Alors elle me fait chanter... Je me rends alors chez elle, la peur au ventre, me demandant ce qu'elle va bien pouvoir faire pour m'empêcher d'épouser Kiran. Elle m'ouvre la porte pour me laisser entrer. Je ne prends pas de gants pour lui faire comprendre la situation « Ecoute... Je suis fiancée à Kiran désormais. Il faut que tu trouves quelqu'un d'autre. Je l'aime. » « Tu ne m'aimes plus ? » « Non... Je l'aime lui. Je ne peux pas rester avec toi. Je ne t'ai jamais aimée, du moins pas plus qu'une amie, et je ne suis même pas sûre que tu l'aies été un jour... » « Mais j'ai besoin de toi. » « Combien de fois je vais devoir te répéter que tu n'étais qu'une expérience de lycéenne ? On s'est embrassées, rien de plus, et ça n'ira jamais plus loin. Arrête de faire une fixette sur moi.  » « Tu n'as pas le droit de me faire ça, tu ne peux pas me laisser. » « Ah oui ? Sinon quoi ? » « Sinon je raconte tout à ta famille et même à Kiran. » « Ils ne te croiront pas. » « Comment tu peux en être si sûre ? » Elle me défie du regard et là, je me dis qu'elle a peut-être raison. Si elle leur dévoile tout... Est-ce que ça veut vraiment dire que je dois encore la voir ? Pourtant, on ne fait rien, on ne couche même pas ensemble ni quoi que ce soit du même genre... Je n'ai jamais voulu aller plus loin alors que je ne ressens rien envers elle. « Tu vois, j'ai raison. Tu n'iras pas te marier avec lui, sinon... » La suite est assez simple à deviner...



Ce jour-là, ça fait exactement deux semaines que je suis allée annoncer mon futur mariage avec Kiran à Zoé. Evidemment, celle-ci ne l'a pas bien pris et elle m'a menacée de tout dévoiler à ceux que j'aime. Je ne peux pas prendre ce risque et pourtant, je suis toujours aussi dingue de Kiran et prête à ce qu'il me passe la bague au doigt, même si je suis jeune, c'est vrai. Enfin... Je sors de la fac de droit et, alors que j'arrive sur le parking, des fédéraux se dirigent vers moi et me demandent de les suivre. Qu'est-ce qu'il peut bien se passer ? Est-ce qu'il y a un problème avec Kiran ? Avec mon frère ? Ma sœur n'est pas du genre à faire les quatre cents coups, c'est certain. Ils m'embarquent alors sans me poser de questions jusqu'au poste de police où se trouvent déjà Max, Naël et maman. Papa n'est pas là, normal il est parti pour affaires. Au fil de l'interrogatoire, on nous pose de plus en plus de questions sur notre père justement, qu'est-ce qu'il fait dans la vie, pourquoi il est absent en ce moment... Pourtant, on n'en sait rien mais on nous accuse quand même de faire partie de l'affaire. On n'a absolument aucune idée de ce qui cloche avec notre père mais pour eux, on est coupables. Coupables de quoi ? On n'était même pas nés quand il a commencé ses cambriolages ! On ne savait rien de tout ça. Notre père était un homme normal parmi tant d'autres... On est tous les quatre tombés des nues, si on s'était attendus à apprendre une chose pareille... On a été repoussés par tout le monde, exclus, tout ça pour des actes qu'a commis notre père y a presque trente ans. Même si c'est mon père et que rien ne pourra changer ça, j'ai honte pour tout ce qu'il a fait. Il a menti pendant des années et maintenant ça nous tombe dessus. Déjà que depuis deux semaines, je subis une véritable descente aux enfers à cause de cette histoire avec Zoé, voilà que j'apprends que mon père est un criminel...


Le mariage est-il vraiment censé être le plus beau jour de notre vie ? Moi, je n'y crois pas. A l'heure qu'il est, je devrais déjà être à la mairie, aux côtés de Kiran, alors que je suis à la plage, à broyer du noir. Mieux vaut que je ne sois pas à la maison sinon qui sait ce que je serais capable de faire pour mettre fin à ce carnage... J'ai besoin de prendre l'air, pour ne pas penser que suis en train de foutre ma vie en l'air à cause d'une maitre chanteuse. Je ne sais pas ce qu'elle serait capable d'aller raconter à mon propos mais une chose est sûre, elle est assez manipulatrice pour que tout le monde puisse la croire. En parlant du loup, voilà qu'elle débarque en sifflant, provocatrice comme jamais. « Tu verras, le célibat c'est bien. » rien que cette phrase me met hors de moi alors je me lève et la gifle « Ta gueule ! C'est bon t'as ce que tu veux ??? Tu te rends compte de ce que tu me forces à faire ? Comment veux-tu que je t'aime avec tout le mal que tu me fais ? Crois pas que ça changera un jour, tu peux toujours crever. » « Tant de haine... Pourquoi ? Je t'évite juste de commettre une erreur. Tu sais aussi bien que moi que t'es trop jeune, que tu devrais profiter de la vie, faire des expériences... » « En fait tu l'assumes pas, mais t'es jalouse de nous, et c'est pour ça que tu nous empêches d'être heureux... Et ne me fais pas croire que c'est par amour passionnel que tu fais ça pour moi. Le plus ridicule, c'est que tu te voiles la face depuis des années en croyant que c'est réciproque. » Je ne lui laisse même pas le temps de répliquer que je me barre en courant. Non, je ne vais pas à la mairie rejoindre Kiran, je rentre juste chez nous.


Peut-être que j'aurais dû le rejoindre, peu importe si je n'étais pas présentable. Il est rentré chez nous, je n'ai pas nié, c'est vrai. Mais qu'est-ce que je pouvais dire ? Comment il aurait pu croire une histoire comme celle-là ? C'était sûr, elle avait déjà été tout lui dire, en déformant probablement la réalité et il l'a crue, comme tout le monde l'aurait fait. J'ai dû la blesser, alors elle s'est vengée comme ça, elle a eu ce qu'elle voulait. Je ne me suis pas mariée et maintenant, il est parti. Il a rendu notre appartement et je me lamente dans la chambre du motel, ne sachant pas où aller.  Au moins, Maxine a la vraie version de l'histoire, ma version. Je lui ai tout raconté et elle m'a crue. Heureusement... Mais maintenant c'est trop tard. J'ai beau être allée le voir pour tout lui expliquer moi-même, de la même manière que je l'ai fait avec ma sœur. Il ne m'a pas écoutée, il est juste parti pour aller je ne sais où... Je n'ai pas pu lui demander.


Huit ans plus tard, après cette période infernale, voilà ce que je suis devenue. Je suis désormais notaire, mais je n'ai plus jamais eu de nouvelles de Kiran. Je vis seule, dans un appartement assez spacieux que mon travail permet de me payer. J'ai coupé les ponts avec celle qui m'a poussée à foutre ma relation avec Kiran en l'air, juste après qu'il soit parti. Bien sûr, même tant d'années après, elle ne s'est pas gênée pour tout dévoiler à ma famille. Déjà Maxine était au courant, puisqu'elle avait eu ma version bien avant. Par contre, je n'avais expliqué rien de tout ça ni à mon frère, ni à ma mère alors je n'ai pas eu le choix. Décidément, il faut croire qu'elle n'en avait pas assez fait pour me pourrir la vie... Maintenant je ne vis que pour mon travail, de toute façon, ce n'est même pas la peine que je songe à m'engager avec quelqu'un d'autre puisque j'ai le don de tout faire foirer à chaque fois qu'il m'arrive un truc de bien... Puis je ne veux pas de quelqu'un d'autre. Le pire, c'est qu'après presque dix ans, je ne parviens pas à l'oublier, bien qu'il soit parti sans se retourner... Voilà où j'en suis.