✩ good to know you
3 ans
Pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi le Soleil il est jaune ? Comment on fait les bébés ? Pourquoi mon papa pleure ? Je vois papa qui pleure. Je trouve ça bizarre, je ne l’ai jamais vu pleurer. Il sourit et rigole tout le temps d'habitude. Maman a disparu, je ne sais pas où elle est et je ne la réclame pas, j'attends juste qu'elle revienne. Je prends Doudou par la patte et je l’emmène vers papa à qui je vais faire un câlin parce qu’il a l’air triste. « Papounet… Pourquoi tu pleures ? Tu t’es fait mal ? » « En quelque sorte… Ce n’est pas grave, ne t’inquiète pas. Tout va s’arranger. » A ce moment-là, je lisais une lueur d’espoir dans les yeux embués de larmes de mon père. Il me serrait contre lui et je sentais que ma joue devenait mouillée. Il caressait mes longs cheveux blonds et était si collé à moi qu’on avait l’impression que j’étais la seule chose au monde qui lui restait.


6 ans
« Allez madame, poussez ! Vous y êtes presque ! » Quelques secondes plus tard, un petit bébé pleure et je le trouve trop beau. Il est un peu plus bronzé que moi et il a quelques petits cheveux noirs. Papa m’annonce « je te présente ton petit frère : Killian ». Je le regarde avec de gros yeux et je réalise à quel point je suis heureuse d’avoir un frère, moi qui pensais devoir vivre avec un papa triste pour toujours… Maintenant, il avait ce rare sourire qui apparaissait sur ses lèvres qui signifiait qu’il était bel et bien comblé. Je prenais la main de Killian mais il ne serrait pas encore mes doigts, puis je caressais ses cheveux avec douceur en laissant échapper un : « wouah… Il est magnifique. ». Maman souriait aussi, elle était tellement belle… J’étais triste de ne pas lui ressembler. Elle avait de soyeux cheveux bruns et une peau un peu hâlée alors que j’étais blonde et blanche comme la neige. Elle avait un prénom ravissant et moi, il arrivait qu’on me surnomme Ellie – sauf mon père qui n’arrivait même plus à l’entendre - , qui venait d’Ellen, le prénom de celle qui m’a abandonnée. A chaque fois qu'on me surnommait de cette manière, j'insistais pour qu'on m'appelle June. Je n’étais pas bête, je savais qu’elle n’avait eu aucun autre courage que de s’en aller pour faire je ne sais quoi… Une chose qui était sûre, c’était Elizabeth ma vraie mère.


14 ans
La vie est injuste… Pourquoi la mort a-t-elle emporté maman ? Elle n’avait rien fait, c’était la mère parfaite… Ce n’est pas possible qu’elle ne soit plus là, il y a forcément un moyen, même un petit quelque chose pour la ramener… Mais non. Tout le monde est vêtu de noir pour lui dire adieu et je sais qu’une femme comme elle aurait voulu un peu plus de couleur pour partir. Elle était très malade et personne n’a rien pu faire pour elle, même pas ces médecins qui auraient dû être capables de la sauver de cette inexorable proximité avec la faucheuse. Avant qu’elle parte, les larmes coulaient à flots et encore une fois, mon père était malheureux. Je ne sais même pas si Killian était en mesure de comprendre que maman allait partir, mais il pleurait lui aussi. Voilà comment elle a disparu, foudroyée par la maladie et détruite à l’idée de nous laisser.

Peu après, je n’avais plus le goût à rien. Moi non plus je n’avais plus envie de vivre dans ce foutu monde cruel. Pourtant, je ne pouvais pas tenter de partir à mon tour tant que papa et Killian étaient encore là. Killian me témoignait son affection, et j’étais soulagée qu’il soit là pour moi mais je n’avais pas le sentiment d’être à la hauteur avec lui… Je n’étais même pas digne d’avoir un frère aussi exceptionnel que lui… Alors je le repoussais pour qu'il soutienne papa à ma place. Lui aussi on l'avait encore abandonné alors qu'il a toujours été un homme formidable, méritant d'être heureux comme tout le monde.


16 ans
Ça faisait déjà deux ans que maman était partie et une seconde sans savoir que je la retrouverai à la maison en rentrant me paraissait être une éternité… Je ne souriais plus depuis deux ans. Les larmes étaient devenues mon quotidien. Je n'avais plus goût à rien, j'avais délaissé ma plus grande passion qui a toujours été la peinture tellement être séparée d'elle me faisait mal. Mais un jour, mon frère est venu dans ma chambre. Bien sûr, il était bien plus jeune que moi, il n'avait que dix ans. Ce jour-là, il est arrivé avec une toile sous le bras, après avoir déposé un chevalet dans la pièce, et une boite de pinceaux, de peinture à l'huile. Tout ce dont je me servais pour peindre quand je savais encore comment sourire. Il m'avait balancé la boite dans les bras, sans que j'aie le temps de broncher et il m'a hurlé dessus comme je ne l'avais jamais vu le faire. « Arrête de pleurer, June ! Maintenant tu vas peindre et aller de l'avant. Maman ne reviendra pas, elle est partie. Elle aurait voulu que tu ailles de l'avant, que tu continues de peindre. Souviens toi comme elle aimait ce que tu créais... Si tu le fais pas pour moi, fais le pour elle. » Je serai toujours reconnaissante à mon frère, pour avoir réussi à me secouer et me redonner la force de sourire. C'est à cet âge-là que j'ai vraiment décidé de devenir une artiste. C'était certain, j'allais m'en donner les moyens.


25 ans
Cela fait quelques années déjà que je suis diplômée d'une des plus grandes écoles d'art au monde. Mes études ont sans doute été les plus belles années de ma vie, c'est là que je me suis vraiment épanouie dans ce que je faisais. L'école, j'ai dû faire mon maximum pour la financer et avoir une chance d'être acceptée sans passer par le piston. Mais j'ai réussi. Certes, c'était difficile. Dans ces endroits, on peut tomber sur des gens qui nous encouragent à poursuivre dans cette voie, qui partagent leurs contacts avec nous, comme on peut tomber sur des personnes malveillantes qui cherchent à nous dissuader parce qu'ils estiment qu'on n'a aucun talent. Il faut se battre pour se faire sa place, encore plus quand on est une femme.
J'ai quand même eu de la chance, je suis tombée sur quelqu'un de bien. Un professeur excellent qui a partagé son savoir avec moi. Une sorte de mentor en fait. Grâce à lui, j'ai conscience que de nombreuses portes se sont ouvertes. J'ai pu exposer beaucoup de toiles dans des galeries prestigieuses, certaines se sont vendues, et parfois à des prix exorbitants ! Je sais que je suis assez jeune, mais je commence à me faire connaître dans le milieu. Si bien que sans vraiment à ce que je le cherche, je me mets à fréquenter des grands noms du cinéma, de la musique et parfois même de la politique.

C'est comme ça que j'ai rencontré mon mari, Andrew Nicholls. Notre rencontre a été des plus banales, ça s'est tout simplement passé dans une galerie d'art. Il cherchait à acquérir de nouvelles toiles pour ses multiples résidences et il a craqué pour une des miennes. De là on a fait connaissance, et quelques mois après, nous étions mariés. Je crois bien que j'étais amoureuse de lui. Pour lui, j'ai tout sacrifié. Je ne pouvais plus peindre, c'était bien trop mal vu pour une femme d'homme politique. Sa fonction m'a empêchée d'exercer ma passion et ça a fait de moi une femme provocatrice, n'hésitant pas à dire haut et fort ce que je pense.


32 ans
Déjà deux ans qu'on a quitté New York pour Anchorage. Ces deux endroits n'ont rien à voir, et la ville qui ne dort jamais me manque. Je m'ennuie ici, alors tout est bon pour me divertir. Je me remets à peindre, mais en cachette parce que je ne veux pas non plus faire la une des journaux à scandales. J'ai de nombreux amants auxquels je ne m'attache pas, et c'est très bien comme ça. Andrew n'est plus comme avant, il est plus marié à son travail qu'à moi et il n'est jamais là... Enfin, il va bien falloir que je me fasse à cette ville à la campagne. Je pensais que c'était le genre de lieu où il ne se passe jamais rien, où tout est mort, mais j'avais tort...

Il y a quelques semaines, je suis montée sur le toit d'un immeuble, histoire d'avoir une plus belle vue de la ville que je commence à apprécier. Pourtant, un homme est venu contrarier mes plans. Ou plutôt, je suis venue contrarier les siens. Il était à deux doigts de se suicider en sautant du haut de cet immeuble. Il était déjà trop tard pour faire demi-tour, alors j'ai décidé de lui venir en aide à ma manière. Ayant déjà évalué toutes les possibilités de mettre fin à mes jours quand j'étais ado, juste après le décès de maman, je lui fais imaginer ce que ça fait, de sauter d'un toit. Bien sûr, il ne m'a pas accueillie les bras grands ouverts, il m'a dit de dégager. Comme si je pouvais le faire... Alors j'ai laissé échapper un rire nerveux, le défiant presque de sauter. Mais quand je me suis aperçue qu'il pleurait, je me suis rappelée de mon père et des seules larmes que je l'ai vu verser. Cet inconnu était autant en détresse que papa, même autant que moi quand maman est partie. C'est là qu'il m'a demandé ce que je voulais et qui j'étais. Je ne lui ai rien dit, je me suis contentée de dire que ça ne valait pas le coup et que s'il sautait, il ne le saurait jamais, avant de partir sans rien ajouter de plus.

Au moins, j'ai fait une chose de bien, j'ai sauvé la vie de quelqu'un. Quoi que... Peut-être qu'il a trouvé une autre solution au problème qui est de mettre fin à ses jours. Enfin, je l'espère pas quand même... Je n'irais pas jusqu'à lui souhaiter de mourir. Depuis ce jour-là, malgré moi, son visage me hante. J'ignore pourquoi, je ne sais même pas si je voudrais le savoir. Peut-être bien qu'il m'attire, j'en sais trop rien. Quoi qu'il en soit je me demande ce qui a bien pu le pousser à presque franchir cette ligne de non-retour, mais ça, je ne le saurai jamais... A moins que le hasard ne nous joue de nouveau des tours.