Jamais de ma vie je ne pensais me retrouver à l'hôpital pour quelque chose de si grave qu'un accident de voiture. Accident dont je ne me souviens absolument pas au passage. Non je ne pensais pas me retrouver à l'hôpital, amnésique, suite à un coma qui aura quand même duré 7 ou 8 mois. C'est long quand même, non ? En fait j'ai sais strictement rien. Tout ce que je sais c'est que mes parents sont contents que je sois « de retour » comme ils disent et surtout que je dois rester à l'hôpital. En observation. Pourquoi ? Je sais pas. Mais c'est comme ça. Et je vais pas me plaindre. Je supporterais pas avoir ma mère sur le dos non stop me demandant tout le monde si je vais bien, si je n'ai besoin de rien ou je ne sais quelle autre chose absurde. Alors, même si on me laisse 6 mois de plus ici, ça me convient parfaitement. En réalité, le plus difficile, c'est de se souvenir de rien et se demander qui sont les gens qui débarquent dans ta chambre pour te demander comment tu vas et surtout pour essayer de te remémorer des souvenirs. Mon dieu seigneur que je déteste ça. J'adore être au centre de l'attention, oui, quand je sors en boite par exemple (je me souviens parfaitement de ça, oui) mais j'aime pas être le centre d'attention quand il se passe quelque chose de plus grave dans ma vie. En l'occurance, cette saleté de coma et cette saleté d'amnésie. « Tu te souviens de moi ? » ou « Tu te rappelle quand... ? » euh non, je me souviens pas de toi et j'me rappelle pas de quand... ? Okay ? Bien. Je suis un peu en pétard contre le reste du monde ces derniers jours et j'avoue faire preuve d'une facilité déconcertante pour me foutre de tout. Comment ? En haussant les épaules et en disant clairement que j'en ai rien à foutre. Je veux juste retrouver ma vie d'avant. Même mon téléphone ne me sert pas à grand chose. D'ailleurs, je l'ai pas utilisé depuis le 14 novembre. Je suppose que ça doit être ce jour là où j'ai eu mon accident. Drôle d'histoire. Je me souviens de rien. Je me souviens de personne. Je sais juste qu'au moins, même si je souffrais pour des conneries, maintenant je ressens plus rien. C'est probablement le plus important. Je suis allongée sur mon lit en jean et en tshirt (oui, j'ai quand même le droit de m'habiller comme bon me semble, je vais pas porter cette saleté de robe d’hôpital toute ma vie quand même) et je fouille dans mon téléphone une millième fois à la recherche de quelque chose, d'un indice qui pourrait m'aider à retrouver la mémoire. Mais bon, depuis mon réveil, rien n'y fait. Peut-être qu'il ne s'agit pas d'une amnésie passagère. Peut-être que je ne me souviendrais jamais de rien. Je repose mon téléphone lorsque j'entends que quelqu'un frappe à la porte de la chambre. Pitié faites que ce soit pas un défilé d'inconnu qui vient prendre de mes nouvelles et me tapoter constamment sur l'épaule pour savoir si je vais bien. Pitié seigneur. « Entrez. » Je réponds de la manière la plus neutre et la plus naturelle possible, espérant au fond de moi que ce ne sera pas une rencontre inutile. Du genre, une de plus quoi...

(moi j'ai du style.) Je suis toujours nerveux. Depuis ce matin, depuis que mon alarme a sonné, depuis que j'ai fermé à clé derrière moi, depuis que je me suis arrêté chez un fleuriste. Ça me quitte pas ce foutu stress. Depuis hier en fait. Depuis qu'on m'a enfin prévenu que c'est fini. Ces putains de mois d'angoisse et d'inquiétude. Jade s'est réveillée. Je voudrais un bouquet pour une jolie femme s'il vous plaît. La vendeuse fronce les sourcils un court instant avant de visiblement trouver ça charmant. C'était pas pour être charmant. Je m'y connais pas vraiment en fleurs, et je vois pas l'utilité d'en offrir à quelqu'un quand elles vont faner quelques jours après. Mais c'est une tradition, d'en amener quand on rend visite à quelqu'un à l'hôpital. J'en ai déjà amenées à Jade, depuis des mois. Au début je venais tous les jours, quand il y avait personne. Je me sentais pas capable de voir ses parents, ses amis, quand je savais qu'elle était allongée là à cause de moi. Enfin, je crois. Ce serait la coïncidence la plus cruelle qu'elle ait un accident de voiture qui a failli lui coûter la vie le jour même de mon anniversaire, et que je ne sois pas concerné. Et le message qu'elle m'avait envoyé confirmait mon hypothèse. C'était trop pour que ce ne soit que du hasard. Bonjour Ashton. Je réponds d'un sourire mal assuré. La dame à l'accueil me dit bonjour chaque fois que je viens. Elle sait depuis le début pourquoi je suis là, et elle a cette façon compatissante de dire bonjour, chaque fois. Elle a su mon nom, à force. Entrez. Je comprends pas de suite. J'ai presque pas reconnu sa voix. Je suis resté immobile un petit moment, sous le choc. C'est comme si un fantôme m'avait parlé. C'est long, des mois, sans entendre le son de sa voix. Je me reprends et j'ouvre la porte, maladroitement à cause du bouquet de fleurs que j'ai dans les mains. Je referme derrière moi et je m'avance. Elle est bien là. Quelque part j'y croyais plus. Des mois sans aucun signe d'amélioration ça peut détruire la meilleure des volontés. Et même sur le chemin de l'hôpital, j'avais encore peur d'arriver et de la voir endormie, branchée de partout à des machines qui la tenaient en vie. Elle a les yeux rivés sur son téléphone. J'avance encore un peu jusqu'à ce qu'elle remarque ma présence. Mes yeux rencontrent enfin les siens. Ils ont rien perdu de leur profondeur. Bonjour.. je.. Je dis rien de plus pour l'instant. Je ne vois rien dans son regard, ni de la colère, ni de la surprise. Pourtant, c'est ce que j'y avais vu la dernière fois qu'on s'était rencontrés. Tiens, c'est pour toi. Je lui dépose le bouquet sur le lit et recule. Je sais pas trop quoi faire, et j'ai l'impression de pas être à ma place. Foutue conscience.

J'entends le bruit de la porte qui s'ouvre et se refermer quelques instants après mais je continue de pianoter sur l'écran de mon téléphone après avoir autorisé la personne à rentrer dans la pièce et au bout de quelques secondes, lorsque je sens sa présence à mes côtés, je relève la tête et je pose mon téléphone à côté de moi. Je souris légèrement, encore quelqu'un dont je ne me rappelle absolument rien. Nos yeux se rencontrent, un échange qui dure quelques secondes. Il a des yeux vraiment magnifique et il est magnifique. Il a un visage vraiment harmonieux qui doit en dire long sur lui et sa personnalité. Ses cheveux sont incroyablement magnifique, c'est dingue quand même. Cette histoire est dingue. « Bonjour.. je.. » Bonjour. Je. Rien de plus, pas un mot de plus. Et j'ai l'impression d'être troublée comme si je m'en souvenais mais vraiment très vaguement. Presque pas du tout en réalité. Et cette fois j'ai l'impression que ce sera plus difficile d'avouer que je n'ai aucun souvenirs de lui. Étions-nous de simple amis ? Plus ou moins ? Je ne saurais le dire. Et en réalité, je ne l'avouerais jamais, mais ça me dérange parfois de ne pas me rappeler des gens. Je n'ose pas imaginer ce que ceux qui devaient être mes amis les plus proches doivent ressentir. Non je n'ose l'imaginer. « Tiens, c'est pour toi. » Je n'avais pas fait attention au bouquet de fleurs qu'il tenait. Je n'en prends conscience que lorsqu'il les déposent sur mon lit et cela m'arrache un sourire. C'est tellement mignon, c'est une attention particulièrement agréable. J'en ai eu des fleurs, oui, mais un bouquet aussi magnifique que celui là, non, pas encore. J'attrape le sourire et je me retourne vers lui. Il a reculé et semble mal à l'aise. Et ça me met mal à l'aise également. « Merci... Ce bouquet est vraiment magnifique. » Je ne saurais pas dire autre chose en ce moment. Je me lève et j'attrape une des bouteilles vides qui sont supposés servir de vase. J'y fait couler de l'eau avant d'y plonger le bouquet et je dépose le tour sur la petite table à côté de mon lit. Je m'assied sur le lit face au jeune homme. J'avoue que je ne sais pas trop quoi dire. « Merci d'être passé me voir... » Et c'est tout, je trouve rien d'autre à dire que le remercier d'être passé. C'est horriblement gênant. C'est affreux. Pour offrir un bouquet aussi joli, il devait forcément compter pour moi. Mais pourquoi est-ce que je ne m'en rappelle pas ? « Je suis désolé mais je ne me rappelle de rien. » Il n'y aurait pas de façon plus délicate que de dire cela. En fait ce n'est pas du tout facile de dire ce genre de chose. J'ai l'impression d'être une monstre. J'ai déjà réussi à faire pleurer deux personnes et je compte pas les cœurs que j'ai du briser. Décidément, l'amnésie ne fait de bien à personne. Je me sens super mal, surtout pour lui. A force de l'avoir fait, je devrais ne plus avoir de peine pour mes victimes malheureusement, j'arrive pas. Le plus dur c'est de ne pas savoir ce que je représentait pour ces gens qui viennent me voir et qui passent du temps avec l'amnésique que je suis devenue.