PERCEPTION. n.f. singulier, Idée ou compréhension plus ou moins nette de quelque chose.

« C’est même pas ton frère ! Ma mère dit que ton père est meilleur pour faire des enfants que pour se choisir une vraie femme ! » lança un garçon blond en rigolant, pointant du doigts le petit brun aux yeux noirs alors âgé de sept ans. La clique du blondinet suivit l’amusement avec tout autant de rires déployés. D’un naturel sang chaud, la mâchoire de Jalen se contracta instantanément en levant ses poings férocement fermés. Ses deux amis tentaient de l’apaiser, l’un deux s’appelant Clide vint le retenir : « N’écoute pas ce débile, il risque d’aller pleurer dans les jupes de la maîtresse ! Et toi tu risques d’être privé de récré demain » Mais rien ne semblait vraiment calmer le petit Grayson, prêt à vouloir régler cette affaires d’hommes, comme il se le répétait. Jalen souffrait depuis toujours de cette différence qui l’éloigner physiquement de son frère aîné. Ce dernier, plus solitaire, envisageait de passer outre et le plus jeune des deux frangins semblaient prendre ce silence pour du mépris, ou pire encore, de l’indifférence. Jalen avait toujours remarqué cette légère différence qui caractérisait les deux fils Grayson. L’un était châtain tirant sur le clair, l’autre des cheveux aussi noir que l’ébène. L’un avait un les yeux aussi bleus que cet océan bordant l’ile où ils avaient grandi, alors que l’autre révélait des prunelles d’un marron presque trop sombre. Kiran avait cette mâchoire carrée qui se dessinait toujours plus d’année en année, typique à leur père, tandis que Jalen prônait un visage fin et ovale comme celui de sa mère. Ces particularités génétiques qui permettaient de douter de leur lien de parenté était du au fait que Monsieur Grayson avait pris deux femmes. La première, la génitrice de Kiran avait quitté mari et enfant dès la naissance de celui-ci. La seconde, Mellie était une charmante brune qu’il avait épousée dans une deuxième union. De là, étaient nés deux autres rejetons. Quand on vivait dans une petite ville comme Anchorage, il fallait s’attendre à ce que tout se sache, que les rumeurs se propagent et que les gens parlent pour alimenter leur petite vie sans intérêt. Tout le monde se connaissait, tout le monde se côtoyait, et bien entendu tout le monde savait l’histoire des enfants Grayson. Ce n’était pas une ignominie ou un cas désespérant, mais pour cette petite bourgade d’Alaska c’était un commérage suffisant pour papoter au comptoir de l’épicerie du quartier. Malgré tout cela, Jalen avait toujours voulu croire en la primauté de leur lien fraternel. Il n’avait jamais eu peur de ce qu’on pouvait dire car sa mère l’avait toujours poussé à accueillir son frère aîné. Pour lui, il était prêt à défendre sa famille becs et ongles même s’il semblait de plus en plus triste au mutisme de Kiran. S’il n’avait pas la même bouille, ils avaient pourtant ce même caractère de sang chaud, cette ténacité et ce dévolu certain pour toujours foncer tête baissée quoiqu’il advienne. Là, on était sûr de retrouver deux frères. « Fais gaffe, Jalen, ton père vendra peut-être un de vous deux, pour se faire de l’argent et récolter d’autres enfants moins laids ! » se moqua de nouveau le blondinet. Le sang battait à tout rompre contre les tempes du petit garçon qui s’avança brusquement vers son adversaire qui le dépassait d’une bonne tête : « Ferme-là, Reese ! ». « Oh tu sais te défendre, morveux ! » De nouveaux rires éclatèrent, ce qui ne fit rajouter qu’un coup de pression dans le cœur du petit garçon. Jalen poussa alors le dénommé Reese, mais le gros blond ne bougea pas d’un pouce avec sa haute carrure. C’est alors que ce dernier attrapa, le petit brun par le col pour le plaquer contre le mur de la cour, toujours entouré de la racaille qui lui servait de bande. Ses deux amis furent repoussés pour ne pas intervenir entre les deux bagarreurs : « T’es aussi léger que ta petite sœur en fait …» se moqua Reese en resserrant son étreinte. Jalen tentait de se débattre en envoyant des coups de pieds, mais rien n’y faisait. L’autre était bien plus grand, bien plus fort. Soudain, il sentit la poigne relâcher son pull et ses pieds retrouvèrent le sol. Kiran venait de se hisser entre lui et le vilain Reese. « Touche pas à mon frère, Reesette ! » Un sourire vint illuminer le visage du petit frangin qui se glissa aux côtés de l’aîné, poings de nouveau en l’air. Mais la sonnerie de la reprise retentit et Madame Haven les interpellait à l’autre bout de la cour. Pourtant cela n’arrêta pas Kiran qui envoya une droite dans la figure de Reese qui recula de quelques mètres en criant au malheur, pleurant tout son soul. « Si tu t’approches de nous, encore une fois, on te le fera payer ! » gratifia Jalen, tout fier.

Bon, certes, quelques minutes après ils étaient conviés chez le directeur. Début d'une longue série. Ceci dit, on n’enlèverait plus jamais, la fierté de Jalen pour son grand-frère. Il était sa famille, et ça, personne ne pourrait le changer. Jamais.

ASCENSION. n.f. singulier, 1. Fait de s'élever de prendre de la hauteur; 2. Action de s'élever socialement.

Le lycée d’Anchorage n’accueillait que très rarement des nouveaux. En général, les enfants allaient dans la même école maternelle, puis primaire. Le collège suivait et le lycée de même. Tous grandissaient ensemble, se connaissant depuis toujours. Bien entendu, il y avait toujours quelques parents qui s’égaraient par ici, dans la petite bourgade de l’Alaska mais de nombreuses familles se connaissaient ainsi de manière ancestrale et les descendants n’en faisaient pas l’exception. Dans un vrombissement sonore, sous la légère brise matinale printanière, Jalen arrivait devant l’établissement scolaire sur sa petite bécane qu’il avait retapé lui-même. Se garant et retirant son casque, son groupe d’amis l’entourèrent rapidement dès son arrivée. Une jolie brune se démarqua du lot et vint lui voler un baiser langoureux. Shanna était sa copine de la semaine. Le casque dans une main, il passa alors un bras autour des épaules de la demoiselle qui était plus que ravie de l’attention portée sur elle. Après avoir salué ses collègues et échangés deux trois vannes avec eux, le groupe se mit en route vers le lycée qui réclamait déjà ses élèves par un son de cloche retentissant. Coqueluche des jolies filles, bon copain de tous les garçons de son âge, Jalen avait la vie à ses pieds et savait en profiter un maximum. Déambulant dans le couloir, il s’attarda rapidement à son casier pour y poser son sac alors que Shanna l’attendait, adossée au mur en le mangeant du regard. Jalen n’était pas vraiment l’amoureux transi, ceci dit, il aimait profiter de sa popularité, de sa belle gueule et de son charisme pour provoquer l’adulation féminine sur lui. Beaucoup moins mystérieux que son frère, il s’attirait cependant aussi bien les foudres des professeurs que lui. Une sorte de tradition dans la famille Grayson, si on peut dire. « On se retrouve à 14h en bas des pistes avant que toute la neige ne fonde vraiment ! » lança le jeune homme à Clide qui acquiesça rapidement à la requête de son ami de longue date. C’est alors que la jolie brune s’approcha de Jalen d’un air boudeur : « Je croyais qu’on passait l’après-midi ensemble… », il sourit un instant avant de refermer le cadenas de son casier. « Le snowboard n’attend pas ma jolie, tu le sais ! » répondit-il d’une voix suave, l’instant d’après il prenait ses lèvres avec fougue. « Mais on se voit ce soir, y’a une fête chez Tania » La moue disparut un court instant sur le visage de la demoiselle pour revenir de plein fouet : « J’aime pas l’idée qu’on passe encore une soirée chez ton ex. » Jalen leva les yeux au ciel, légèrement excédé. Les crises de jalousie n’étaient pas de son goût, encore moins dans un but aussi désintéressé que celui-ci. « Il y aura tout le monde » conclut-il, sans ménagement, présageant ainsi qu’il ne changerait clairement pas d’avis. Il était comme ça, les jeunes filles déambulaient dans sa vie, si elles n’étaient pas d’accord elles passaient leur chemin et il y en aurait d’autres qui seraient ravies de prendre sa place. La belle Shanna le savait, c’est pourquoi elle n’émit aucune objection et, pour toute réponse, se colla un peu plus à lui de manière langoureuse pour le gratifier à nouveau d’un long baiser affriolant. Satisfait, Jalen répondit avec autant d’envergure. Un raclement de gorge se fit alors entendre derrière eux. Pris sur le fait, Jalen se retourna avec ce petit air goguenard face à la directrice qui les fixaient, bras croisés, de son visage pincé. « Monsieur Grayson, vous ne croyez pas que vous avez déjà assez de mots de retard pour toute votre scolarité ? Miss Pearson, je vous connaissais beaucoup plus assidue avant que vos fréquentations ne changent. » dit la quinquagénaire, autoritaire. Narquois et je-m’en-foutiste, Jalen ne se fit pas prier pour répondre : « Elle me donnait du courage, m’dame » Levant les yeux au plafond, la directrice claqua la langue avant de continuer « Votre frère et vous êtes dans un même concours de stupidité ? » Jalen ne put réprimer un rire. « Ca vous faire rire je vois. Dans mon bureau tout de suite. Miss Pearson, je crois qu’il est temps que vous rejoignez votre cours de chimie. »  

ELEVATION. n.f. singulier, Fait d'élever quelqu'un ou d'acquérir une dignité, un statut supérieur.

Tout le monde lui avait dit qu’un peu de discipline lui ferait du bien.  Qu’en s’engageant il ferait moins le barbot et pourrait certainement acquérir un peu de maturité. Sa mère avait pleuré toutes les larmes de son corps en le laissant partir au loin avec ce régiment qui serait sa nouvelle famille. L’Arizona fut son premier jeté d’ancre, en passant ensuite par les différentes bases militaires du Texas puis de la Géorgie. L’armée américaine, c’était une sorte de rite de passage obligatoire dans la famille. Les Grayson se transmettaient ce lien de père en fils. Et quand Kiran était parti s’enrôler, Jalen avait décidé de suivre son aîné lui aussi. Pas vraiment un amateur d’autorité et de domination pourtant il n’avait qu’une envie, faire ses armes lui aussi comme tous ceux qui étaient passés avant lui. Les deux premières années de formation étaient passées. Non sans encombres puisque bon nombre de capitaines l’avaient sermonnés pour ses frasques indélébiles. Jalen arrivait toujours à s’en sortir, d’autres prenaient souvent à sa place ou pas. Cependant  le jeune homme était connu également pour sa persévérance, il en voulait. Toujours plus. Après ses deux années, il avait choisi l’armée de l’air, réussissant avec brio les tests pour y entrer. Son rêve était l’altitude. Le meilleur moyen d’éprouver le plus d’adrénaline, selon lui. Rêvant d’aviation depuis toujours, c’est tout naturellement qu’il revient en Alaska pour rentrer dans l’Alaskan Air Command dont la mission première était de veiller sur la côte de l’Océan Pacifique en protégeant les Etats-Unis depuis les Iles Aléoutiennes. Bien sûr, en tant de paix, les pilotes étaient là uniquement pour les entraînements et les leçons d’instructions sur les différents modèles d’aviation en constante progression. Ici, il se lia d’amitié avec un soldat aussi dingue que lui. Mason Hastings. Mêmes conneries, mêmes délires, mêmes ambitions que celles de braver les interdits. Ils étaient aussi les meilleurs parmi les aviateurs, deux militaires prometteurs à la langue bien pendue. On n’en voyait plus l’un sans l’autre. Ils ne participaient pas l’un sans l’autre aux soirées de permissions dans les bars de l’Ile où les jeunes femmes et infirmières n’avaient de cesse que de s’attirer leurs louanges et leurs attentions. C’était la belle époque. A vingt ans, le monde s’offre à vous et les avantages en sont nombreux. Son ami le soutint énormément quand Jalen apprit la mort de son père. Encore plus quand l’absence de son frère se faisait trop grande. Bien qu’il n’était pas de nature à parler beaucoup, Jalen savait que son ami comprenait. Tous les hommes militaires avaient leurs séquelles, leurs déboires et leur raison qui faisait tenir la tête haute, celle qui obligeait à avancer. Jalen n’avait jamais fait partie de ses personnes qui s’abattaient sur leur sort. Pourtant, il avait eu l’impression que la mort de son père avait laissé un grand vide au sein de cette petite famille éparpillée maintenant aux quatre coins du monde. Sa mère quant à elle lui envoyait des tonnes de lettres. Même s’il ne rentrait que très rarement à Anchorage, Jalen louait cette femme plus que tout au monde. Elle avait trop subi dans sa vie pour que ses propres enfants ne lui tournent le dos. L’aviation avait été son choix, et pour elle, il atteindrait le sommet et ainsi il pourrait la rendre fière de lui. C’était tout ce qui importait. Et peut-être un peu celui de son ego. Inutile de vous raconter que les incartades suivirent avec brio, et la sensation guerrière qui l’éprenait à chaque fois qu’il effectuait un looping aux commandes d’un TG-4A…

Cette indescriptible sensation de majesté quand vous êtes dans les airs. Ce regain de force qui vous prend jusqu’aux tripes et la pression qui bat à vos temps lorsque l’engin redescend en piquet. Folie. Inconscience. Liberté. Paix. Immuabilité. Hérésie. Plénitude.  

DÉFLAGRATION. n.f. singulier, Violente explosion entraînant des dégâts conséquents.

Cela se passa un matin de novembre. Le soleil découvrait à peine de ses rayons la cordillère blanche des montagnes. Il faisait frais, mais pas froid pour autant. Dans quelques semaines, la neige aurait recouvert les pistes et ce serait l’heure des permissions pour les fêtes de fin d’année. Debout, l’air autrefois narquois et malicieux de Jalen Grayson avait interdiction de broncher dans ce bureau. Le bureau du colonel de la base. Hastings se  trouvait à ses côtés, dans la même position, droit comme un i. Cette fois-ci les deux hommes semblaient être allés trop loin. « Officier Hastings, je vous mets à pieds pour une période de trois mois. En vous transférant à Backsdale en Louisiane. Vous pouvez disposer » Un regard s’échangea entre les deux soldats. « Vous avez besoin d’un coup de pied au cul, Officier ? » L’interpellé se redressa instantanément en oubliant le petit sourire qu’il avait joint le temps d’un instant avec Jalen, puis rabattit sa main contre son front pour le salut militaire exigé : « Non, mon colonel. » Quelques secondes après, le brun entendit la porte se refermer derrière son collègue. Bientôt ce serait à lui. Bien entendu, Jalen savait qu’il allait en prendre aussi pour son grade, pourtant il était confiant. Le colonel l’aimait plutôt bien si on pouvait parler ainsi. Hormis son indiscipline, le jeune Grayson était un de ses meilleurs éléments de son régiment ici. Bientôt il partirait pour l’élite de la base hawaïenne et lui-même, le colonel, avait fait la recommandation à son égard, louant ses prouesses et son avantage sur les autres. Jalen était certain que la mise à pied n’aurait pas d’impact sur ses projets futurs. Mais peut-être était-il trop confiant ? « Je croyais avoir fait ma part du marché en poussant votre ascension pour Hawaii, je pensais que vous feriez de même, Grayson… » annonça enfin le supérieur en perdant son regard par-delà la fenêtre de son bureau qui marquait l’horizon. De gros nuages gris et épais transcendaient le ciel toujours un peu plus. « Vous êtes sûrement trop jeune pour que j’ai daigné vous porter de l’importance. Vous m’avez déçu, Officier Grayson. » La salive eut du mal à passer. Cependant, il se conforta dans l’idée que tout irait bien. Il ne pouvait pas lui faire ça. « J’ai appelé Hawaii ce matin. » Cette fois-ci, Jalen réagit et lève son regard sombre sur celui du colonel qui se retourna enfin pour lui faire face. Il reconnait l’air grave marqué par la sévérité du temps mais aussi la déception béante d’un père de substitution. « Vous n’êtes pas capables de suivre les consignes. Les ordres sont les ordres. » Il marque un temps de pause avant de reprendre. « Je vous retire Hawaii jusqu’à une prochaine échéance de six mois. » La sentence sonna comme le glas d’un couperet. « Colonel, vous ne pouvez pas me faire ça ! » rebondit directement Jalen, sans permission de parler. « Ce n’était rien qu’une blague, il n'y a pas eu de blessé, et … » « Vous croyez vraiment qu’on a le temps de s’amuser ici ? » hurla le colonel en l'interrompant, excédé. « Je retire ce que je viens de vous dire. Apparemment vous séparer de votre coéquipier n’a aucun impact. Vous serez assigné à Elmendorf jusqu’à nouvel ordre ! » Plus que consterné, Jalen ne pouvait plus rien répondre sans que son état ne s’aggrave encore plus. Il ne tenta pas le diable et quitta le bureau en claquant la porte violemment derrière son passage. On le réduisait à néant par ce refus. Deux ans qu’il était ici et qu’il avait déjà tout appris, on lui refusait de partir pour s’épanouir ailleurs et prendre du grade. Dans sa violence, il n’envisagea plus rien. Quand il dévala le campement, la pluie tombait drue, il n’en fit pas remarque. Jalen enfourcha sa moto, oubliant casque et protection. Il n’entendit pas ses acolytes le retenir derrière lui car déjà il démarrait dans un son tonitruant de pot d’échappement. En quelques secondes, il affrontait le bitume dans une accélération impétueuse. Montant toujours plus haut dans les tours, son visage était martelé par les gouttes d’eau. Le bitume se couvrait toujours plus de flaques grandiloquentes mais la vitesse croissait encore et encore. Encore. On ne pouvait plus voir les indications du compteur sur le cadran, les aiguilles s’affolaient en indiquant une accélération démesurée et la pluie se chargeait d’aveugler. Il eut un tremblement du ciel, un éclair, un grondement d’orage, des crissements de pneus sur l'asphalte mouillé, une perte d’équilibre, un incendie conversant avec l'eau déferlante. Oui, ce fut un choc monumental. Puis ce fut le trou noir.

STAGNATION. n.f. singulier, Absence de progrès ou de développement.

Il est parfois dur de pouvoir se faire une place dans le monde. Certains disent que c'est la famille, les racines et les parents qui vous inculquent les bases de la vie, que ce sont eux qui signeront et graveront votre futur. D'autres prétendent que vous êtes maître de votre de votre destin, "capitaine de votre âme" et que vous êtes seul depuis votre naissance pour décider de votre avenir. D'autres encore se surprennent à affirmer que les choix passés auront un impact sur votre devenir, que les fautes commises autres fois vous montreront forcément le chemin à emprunter et pas un autre. Certaines populations se mettent sous la joute d'un être suprême - qu'il porte différents noms comme Dieu, Jésus, Allah, Bouddha - qui semble tout gouverner du haut de son piédestal. Il serait là pour vous guider, absoudre vos pêchés quand ceux-ci deviendraient bien trop pesant et ainsi vous repartiriez à nouveau sur de bonnes bases comme un rejeton qui viendrait de naître. Qui a tort... Qui a raison ? Doit-on blâmer quelqu'un, Dieu ou encore les géniteurs pour ce qui nous arrive dans nos vies ? Ou sommes-nous les seuls coupables, pieds et poings liés, à devoir défendre notre cas quand viendra l'heure du Jugement dernier ?

C’était un rêve charmant où se dessinait une femme qui en était l’égérie envoûtante. Il ne fallait pas se réveiller, surtout ne pas sortir de ce délicieux rêve. Il se trouvait apaisé. Confiant. Elle était là, nue et déroutante, comme à chaque fois que ce rêve revenait. Constant. Tel un mirage dans cette brume impalpable. Une plage déserte et idyllique. Un endroit qu’il ne connaissait pas. Les vagues montaient et descendaient sur la berge, venant partiellement gravir ses longues jambes fuselées pour les libérer à nouveau sur la mer redescendant à chaque fois. Jalen aurait pu rester là, à contempler la beauté de cette femme trop désirée dont le visage lui était caché encore et toujours. Pourtant, il ne pouvait se retenir et s’avança, attiré, par son fruit défendu. Les pas laissés dans le sable menaient directement à elle comme si un destin fou se traçait peu à peu. Il arriva à sa hauteur après des secondes qui parurent des heures insaisissables. S’allongeant auprès d’elle, d’abord hésitant, il leva une main lente vers cette chevelure étincelante au soleil de feu pour le découvrir de ses mèches blondes qui le barraient amoureusement. Il n’avait qu’une envie, connaître ses traits et pouvoir les marquer à jamais de ses doigts. Se mordant la lèvre, il semblait avoir peur de la toucher et qu’elle disparaisse sous ce mirage magnifique. Car oui, elle était belle. Sublime dans son plus simple apparat. Offerte au grès de la bise, comme un cadeau pour ses yeux impressionnés. Mais il n’y arrivait pas, comme si une force extérieure l’empêchait de connaître cette apparition. Pourtant, elle lui parlait. Sa voix avait la douceur de cette brise océanique, le regain de bonté qui réchauffe votre âme, la mélodie parfaite qui berce les enfants avant de s’endormir. Cette voix, il la connaissait. Jalen connaissait chacune de ses notes, de cette ambivalence musicale entre les graves et les aigus. Il ne fallait pas qu’elle s’arrête, tout lui disait que ce son pouvait guérir tant de maux et tant de douleurs à la fois. Jalen se serait perdu dans cette mélodie apaisante où le luthier n’aurait même pas pu faire mieux de son instrument. Unique. Il osa enfin tendre sa main maladroite vers elle, franchissant enfin le tournis qu’elle lui provoquait, trop désireux d’en connaître les lèvres, les yeux et les pommettes. Il voulait savoir qui était cette sirène enchanteresse « Je… » chuchotta-t-il, mais il n’eut pas le temps de terminer ses mots car elle le priva de sa réplique en glissant son index sur ses lèvres entrouvertes. Imposant au silence alors que lui ne songeait qu’à conquérir l’inatteignable supplice de ses lèvres. L’embrasser et tout deviendrait logique et réel. Ce simple toucher l’embrasa plus que deux mesures. Il ferma les yeux, puis les rouvrit quelques secondes plus tard. Elle n’était plus là. La voix s’était éteinte et un vent atroce avait faire venir l’enfer sur la plage si ensoleillée, à présent complainte sous les nuages noirs. Une pluie averse se rua sur lui, agitant son corps dans un tourment total. Le néant revenait et reprenait ses droits quand la chanson s’éloignait. C’était toujours ainsi. Comme si les ténèbres brandissaient ses bras pour le retenir toujours plus contre lui. S’enfonçant dans les grains de sable blanc jusqu’à ce que la sirène et ses paroles le ramènent dans ce paradis brumeux et ensorcelant.
Étrangeté que la perdition d’une âme au fond d’un lit d’hôpital.

PROSTRATION. n.f. singulier, 1. Etat d'accablement profond qui se traduit par une absence complète de ressort, d'énergie; 2. Etat d'abattement physique et psychique provoqué par certaines maladies.

Comment réapprendre à vivre alors qu’on a le sentiment d’avoir tout perdu ? Comment leur dire que tout vous semble inconnu alors qu'ils sont comblés de joie de voir vos paupières s'ouvrirent à nouveau ? Que vous n’avez envie que d’une seule chose, c’est de retourner là où vous étiez, au moins là-bas vous pouviez encore marcher, courir, gambader… Même si ce n’était pas réel, cela semblait plus vivable qu’en cet instant. Voilà trois semaines qu’il était réveillé maintenant. Des centaines de visages semblaient s’être présenté à lui à en faire mal à la tête. Cette douleur n’était encore que minime, la plus douloureuse n’avait aucune sensation physique, elle était psychologique. Vous êtes-vous déjà senti impuissant à tel point que vous ne savez pas du tout comment y remédier ? Ses sensations le quittaient à partir du haut de ses hanches. L’appareil reproductif semblait reprendre de la vigueur, ça il l’avait remarqué quelques jours après son réveil. Affolé à l’idée de ne plus pouvoir se contenter de son service trois pièces, mais les soins d’une infirmière avaient démontré vivement le contraire. Ouf ! Cependant, c’était comme si, à partir de ses cuisses, on lui avait sectionné les membres. Plus possible de bouger ne serait-ce qu’un orteil même en se focalisant dessus de toutes ses forces. Jalen avait eu peine à remettre des noms sur les différentes personnes venues le voir, lui apporter des fleurs, l’embrasser, le serrer dans leurs bras, des multiples attentions où la plupart du temps il était resté stoïque. Puis peu à peu, la mémoire lui revenait. Le médecin  l'avait prévenu que cela prendrait du temps pour que tout se remette dans l’ordre, après tout il ressortait pratiquement indemne d’un sommeil de quatre longues années. On ne lui avait noté aucune lésion cérébrale sur longue durée, aucun gros traumatisme hormis ce coma et cette perte mécanique… Ironique. Sa mère avait de nouveau pleuré, de joie cette fois, il l’avait reconnu en premier même avec ses quelques rides et ses cheveux grisonnants. Sa sœur aussi avait changé. Kiran restait le même et pourtant c’était bien le seul à ne pas le regarder avec tant de pitié. Beaucoup trop de connaissances d’autrefois avaient passé le pas de porte de sa chambre d’hôpital, néanmoins, inconsciemment il cherchait quelqu’un qu’il n’avait jamais vu apparaître. Bizarre, mais une voix féminine le tourmentait. Pourtant, il connaissait celles de ses proches, mais ce n’était pas elle, sa voix mélodieuse. Il n’avait pourtant pas de petite amie avant son accident. Mais, il était certain d’une chose, c’est que quelqu’un manquait à l’appel. Et il voulait voir seulement cette personne. Cette inconnue qui ne vint jamais.

Gina, son infirmière était venue à sa rescousse quand il attrapa le fauteuil d’une main pour pouvoir sortir de ce lit qu’il avait en horreur depuis son réveil. Pestant à tue-tête, Jalen avait encore du mal à se débrouiller convenablement pour se réintroduire dans ce siège de malheur. Il lui faudrait muscler ses bras, ramollis par ses mois de coma. « Monsieur Grayson, voyons ! C’est normal, je suis là pour vous aider ! » répétait-elle à chaque fois en l’aidant. Jalen jurait mais préféra finalement se laisser faire plutôt que de tomber une nouvelle fois face contre terre. Grâce à un jeune homme de dix-huit qui était aussi amoindris que lui, l’ancien pilote avait pu apprendre à manier son nouveau véhicule. Avec lui, c’était bien plus facile de communiquer sur ce plan-là. Il avait l’impression de le comprendre.  « Dites, Gina. J’ai une question. Y’avait-il une femme ici qui venait me voir ? » demanda-t-il, enfin assis dans son séant. L’aide-soignante entreprenait de faire son lit quand elle leva un visage amusé sur lui : « Une femme ? Il y en avait des tonnes Monsieur Grayson ! ». « Je veux dire… Une personne que je ne connais pas. Je me souviens d’une voix quand je… j’étais dans le coma. » dit-il. Quand il assimila ses dires, il s’en voulut, cela semblait tellement saugrenu comme question. « Oubliez, je dis n’importe quoi. » Gina avait fini son travail et se redressa pour lui faire face, de sa douce voix, elle ajouta cependant : « Il y a une association ici qui s’occupe de faire la lecture à certains patients, notamment ceux dans votre cas, ceux qui sont dans le coma. Une méthode plutôt salutaire qui aide les malades à se maintenir dans un état stable, voir même évolutif. Ça a marchait pour vous, on dirait. Il y a eu une de ses bénévoles qui est venu pour vous pendant deux ans, trois fois par semaine. Il est fortement possible que cette voix soit celle de cette jeune femme » Alors qu’il avait semblé hébété et consterné, Jalen venait carrément de jeter son attention sur l’infirmière, comme réveillé de nouveau. « Ayo, elle s’appelait. Le jour de votre réveil, elle a préféré vous laisser retrouver votre vie et votre famille. Elle a du juger que son travail était terminé. » Un petit sourire de compassion se posa sur ses lèvres puis elle ajouta avant de sortir de la chambre : « Mademoiselle Cartairs vous attend pour votre premier entretien en vue de votre rééducation, vous voulez que je vous accompagne jusque dans son service ? » Pensif, il grommela un ‘merci’ et un ‘je peux me débrouiller seul, vous en faites pas’. Ayo… Cette femme était donc bien réelle. Plutôt heureux pour la première fois en quelques semaines, il se donnait un nouveau but à atteindre. Curieux dessein en effet, il ne savait pas pourquoi, mais Jalen était convaincu qu’il lui faudrait retrouver cette femme. Pour l’heure, il lui fallait affronter la demoiselle qui s’occuperait de le faire remarcher un jour, enfin… Peut-être. Il était déjà assez réticent à ce qu’une femme le soigne. Grayson en conclut qu’il n’avait pas fini d’en baver…